Le 7 octobre, j’ai eu l’occasion de participer aux consultations parlementaires sur le projet de loi no 112 sur le commerce des produits et la mobilité de la main-d’œuvre en provenance des autres provinces.
Déposé en mai, ce projet de loi s’inscrit dans l’empressement de stimuler le commerce intérieur au pays, en réaction aux tensions commerciales avec les États-Unis. De façon générale, il prévoit qu’un produit légalement commercialisé ailleurs au Canada pourrait l’être au Québec sans obligation de se conformer aux exigences québécoises. Cette approche est problématique pour le secteur agricole.
D’une part, rien ne garantit que les produits québécois bénéficieraient des mêmes avantages dans les autres provinces, car chacune d’entre elles applique son propre modèle de reconnaissance. C’est notamment le cas de l’Ontario, qui fonctionne par ententes bilatérales. On faciliterait donc la commercialisation de produits ontariens en territoire québécois, mais pas l’inverse (faute d’entente formelle avec cette province).
D’autre part, les exigences québécoises sont généralement plus contraignantes (et donc plus coûteuses) qu’ailleurs au Canada (exemple : normes environnementales). Cela veut dire qu’on imposerait volontairement un désavantage concurrentiel à nos propres entreprises sur nos propres tablettes. Une situation qui, à terme, pourrait pousser des entreprises québécoises à s’établir ailleurs au pays, c’est-à-dire là où les exigences sont moins sévères (et donc moins coûteuses).
Signalons aussi que les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux ont reconnu, dans l’Accord de libre-échange canadien (ALEC) de 2017, la nécessité de protéger certains secteurs sensibles, comme l’eau, la langue, la culture et les mécanismes de mise en marché collective des produits agricoles (y compris la gestion de l’offre). L’approche unilatérale du projet de loi ne doit pas avoir préséance sur l’ALEC et le gouvernement québécois doit s’en assurer formellement (par règlement).
Une référence explicite à l’exclusion de la Loi sur la mise en marché des produits agricoles, alimentaires et de la pêche et de ses règlements doit d’ailleurs être ajoutée au projet de loi, car il est impératif de garantir la pérennité du modèle agricole et agroalimentaire québécois. Rappelons qu’environ 80 % de la production agricole québécoise est mise en marché collectivement (dont 40 % sous gestion de l’offre).
Les normes rigoureuses de production, de régie et de composition applicables à nos produits laitiers, de même que les produits biologiques et ceux bénéficiant d’une appellation réservée ou d’un terme valorisant, comme « fromage fermier » ou « fromage de vache de race Canadienne », sont aussi des piliers stratégiques de ce modèle. Il est donc essentiel de prévoir une exception.
Le projet de loi vise les exigences liées au produit, comme les normes de composition. Il ne concerne pas les exigences réglementaires, environnementales ou de bien-être animal. Une réciprocité des normes devrait néanmoins être exigée pour ces trois volets, en plus d’alléger le fardeau réglementaire. Le secteur des boissons alcooliques est un bon exemple, les producteurs artisans ayant formulé plusieurs demandes d’allègements ces dernières années.
Le Québec ne peut pas ouvrir la porte toute grande à des produits qui ne respectent pas les exigences que la province impose à ses propres producteurs. C’est une question d’équité, de cohérence et de respect.