L’abolition récente du volet « consommateur » de la tarification fédérale (et britanno-colombienne) sur le carbone n’est pas passée inaperçue. D’une part, elle a eu une incidence sur la campagne électorale et le plan de match de plusieurs formations politiques. D’autre part, le prix de l’essence et du diesel a baissé d’environ 20 cents le litre partout au Canada, sauf au Québec!
Cette situation s’explique assez facilement. Le système québécois de plafonnement et d’échange de droits d’émission de gaz à effet de serre (SPEDE), contrairement à ceux des autres provinces, ne comporte pas de volet « consommateur ». Il force plutôt les grands émetteurs de GES à compenser financièrement chaque tonne d’émissions produite. L’argent généré par l’acquisition de ces crédits compensatoires va dans le Fonds d’électrification et de changements climatiques (FECC) pour financer la mise en œuvre d’initiatives vertes.
Le hic, c’est que ces grands émetteurs québécois de GES (alumineries, cimenteries, raffineries, usines de produits chimiques, installations industrielles, etc.) peuvent facilement transférer la majeure partie des coûts du SPEDE à leurs clients. Ces derniers n’ont toutefois pas droit à des exemptions ou des remboursements, comme (jusqu’à tout récemment) ailleurs au pays.
Les distributeurs québécois de carburants et de combustibles profitent allègrement de cette possibilité en refilant les coûts de la tarification carbone directement aux consommateurs, incluant les agricultrices et les agriculteurs (plus de 480 M$ depuis 2015 au FECC). Ces coûts sont généralement bien visibles sur les factures de propane ou de gaz naturel (« taxe carbone », « SPEDE », etc.), mais ne le sont pas sur les factures de diesel (même s’ils sont inclus).
Le secteur agricole québécois dénonce depuis plusieurs années cette atteinte directe à la compétitivité des entreprises. D’autant plus qu’il n’existe pas d’option de rechange viable, actuellement, au diesel et au propane, qu’il s’agisse de la machinerie, du séchage des grains et de plusieurs autres activités à la ferme.
L’abandon récent du volet « consommateur » des régimes en vigueur ailleurs au Canada amplifie de beaucoup cette iniquité historique. Les frais associés à ce volet, dans les autres provinces, passeront en effet de modestes (en raison des exemptions et des remboursements) à inexistants, alors que le coût des crédits compensatoires, acquis par les grands émetteurs québécois de CO2 (et transférés à leurs clients, incluant le secteur agricole) continuera d’augmenter chaque année. L’écart va donc encore se creuser, mais beaucoup plus rapidement.
Les productrices et producteurs du Québec réclament depuis plusieurs années le remboursement des coûts associés à cette tarification ou, à défaut, le réinvestissement de la totalité des sommes perçues dans des initiatives structurantes pour le secteur. Ce n’est certainement pas le cas actuellement.
Lors de l’étude des crédits budgétaires 2025-2026 du ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec le 8 mai dernier, le ministre André Lamontagne a indiqué que 150 M$ du FECC ont servi au financement de telles initiatives (depuis 2020). Il n’a toutefois pas fourni de détails, ce que nous demandons pourtant depuis longtemps.
Un suivi est également nécessaire quant aux 106 M$ annoncés en juin 2024, en réaction à la mobilisation des productrices et producteurs, pour l’adaptation aux changements climatiques. Le secteur agricole est encore en attente, alors qu’une bonne partie du montant devait provenir du FECC.
Un retour d’ascenseur est requis, d’où l’adoption d’une résolution en ce sens lors du congrès général de décembre dernier. L’Union des producteurs agricoles, ses 12 fédérations régionales et ses 25 groupes spécialisés ont réitéré publiquement cette demande le 14 mai.
Les productrices et producteurs québécois comprennent que la lutte aux changements climatiques est importante. Mais ils considèrent que la situation actuelle est inéquitable comparativement à leurs homologues des autres provinces.
Un meilleur équilibre s’impose entre la tarification du carbone imposée depuis une décennie aux entreprises agricoles de chez nous et les bénéfices qu’ils en retirent, sous la forme de remboursements, de réinvestissements, ou d’une combinaison des deux.